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24 janvier 2021 7 24 /01 /janvier /2021 09:00

Que répondre à la jeune Vita, 20 ans, déjà brillante pianiste mais qui veut s'améliorer pour arriver à bien jouer au piano ? Voici ma réponse, en trois parties.


Chère Vita,

Puisque tu m'as demandé à plusieurs reprises comment tu pouvais améliorer ton jeu au piano, la question doit être importante à tes yeux. Aussi j'y réponds, malgré le risque qu'elle te déplaise. Il est toujours délicat d'énoncer des vérités que nos interlocuteurs ne sont pas prêts à entendre. Mais j'imagine ta question sincère et je préfère prendre le risque de te voir progresser que celui de voir par mon silence flétrir ton talent, car tu en as.

Bien sûr, je ne te parlerai pas de la régularité de la pratique. Je croyais la citation de Paderewski, pianiste renommé et accessoirement premier chef de gouvernement de la Pologne ressuscitée, mais elle est de Vladimir Horowitz1 : « Si je ne joue pas du piano un jour, je ressens la différence. Si je ne joue pas du piano pendant deux jours, mes critiques le remarquent. Si je ne joue pas du piano pendant trois jours, mon public entend la différence. ». Je pars donc de l'idée que cela, tu le sais déjà. Et tu as la force de caractère pour t'astreindre à pratiquer chaque jour.

Mais quelque chose t'échappe. Aussi je te parlerai des subtilités qui font la différence, qui permettent de passer du niveau d'un bon joueur à celui d'un artiste.

Je te parlerai donc de l'équivalent de la pratique de l'annulaire, cette pratique  de la pratique des cinq doigts qui permet de libérer l'esprit et le rendre disponible pour la suite. La pratique de l'annulaire en sport, c'est l'étirement : après avoir travaillé, on s'étire afin de rendre le corps disponible pour l'activité suivante. La pratique de l'annulaire dans le domaine scolaire, c'est, une fois l'exercice terminé, de le refaire de tête avec l'énoncé sous les yeux.

Mais dans la vie quotidienne, qu'est-ce que la pratique de l'annulaire ?

En informatique, cela consiste à fermer les programmes ou les applications une fois que nous avons fini. Cela libère la mémoire et la puissance de calcul de l'ordinateur.

Dans la vie quotidienne, cela consiste tout simplement à ranger une fois l'activité terminée, ou, puisque ranger fait partie de l'activité, nous devrions dire, une fois le cœur de l'activité terminé, nous l'achevons par le rangement.

Lorsque nous faisons quelque chose et que nous ne rangeons pas derrière nous, une partie de nous sait très bien que nous n'avons pas achevé la tâche. Cela trouble notre esprit et contracte nos muscles. Évidemment nous n'avons pas envie de ranger : c'est de l'infantilisme. Nous voudrions être comme des enfants, ne pas assumer la conséquence de nos actes, mais ce temps est révolu. Et tant mieux car nous n'avons plus les parents sur le dos ! Certes, ils rangeaient derrière nous sans que nous nous en rendions compte, mais nous n'étions pas libres ! Le travail est le prix à payer pour être libre.

Aussi, quand je vois que tu excelles en pâtisserie, cela me réjouit doublement. D'une part, très égoïstement, je peux apprécier tes talents culinaires lorsqu'à l'occasion tu me fais partager tes créations. D'autre part, développer le goût, le toucher et l'odorat est très important pour accroître les qualités artistiques. Un artiste sans goût, sans tact et sans odeur... c'est un ordinateur ! Alors continue la pâtisserie.

Mais voici ce que j'ai observé : tu ne nettoies pas derrière toi. Tu laisses traîner les plats utilisés. C'est une erreur.

D'une part, les pâtissiers te diraient que c'est un de leur secret de nettoyer derrière eux. Pourquoi ? Parce que cela permet d'avoir des indices subtils sur la pâte. Est-ce qu'elle accroche quand tu laves les plats, se dilue-t-elle facilement ou au contraire se raidit-elle trop vite au froid ? Ton cerveau à l'affût relève à ton insu tout une série d'indices subtils qui amélioreront ta facture (facture : façon de faire) de gâteau. Et une fois que le gâteau est cuit, lorsque tu laves le plat, cela permet de voir si cela a trop cuit, si ça accroche, et comment. Sans parler de bien nettoyer le plat afin de le réutiliser impeccablement la prochaine fois.

D'autre part, en ne nettoyant pas derrière toi, tu laisses ton esprit indisponible. Soit tu oublies de nettoyer par une négligence coupable à ton âge : tu n'as pas compris que tout nécessite un effort, la pâtisserie comme le jeu musical. Soit tu fais exprès de ne pas nettoyer pour exercer soit une vengeance envers des membres de ta famille, soit une tyrannie domestique. Je t'invite alors à trouver d'autres moyens. Et puis tu n'es pas encore une diva pour faire des caprices de diva. Une diva a énormément travaillé : elle peut faire des caprices auxquels on cède car on apprécie par ailleurs l'excellence de son travail. Pour l'instant, tu n'en es pas là.

Si tu développes l'habitude de nettoyer, et ranger, derrière toi, tu développeras également une disponibilité d'esprit qui libérera ton expression artistique. Tu sais très bien qu'il faut nettoyer et ranger, aussi une part de ton énergie s'apprête à le faire. Mais, pour de mauvaises raisons, tu décides de ne pas le faire. Une autre partie de ton énergie sert alors à hurler contre la partie de toi qui veux nettoyer et ranger. À ce moment-là, une troisième partie de ton énergie arrive pour demander aux deux protagonistes de faire un peu moins de bruit car on ne s'entend plus penser !

Conclusion : nous dépensons trois fois plus d'énergie à ne pas faire que faire ce que nous avons à faire.

Et puisqu'il y a une contrariété, à cause de cette lutte interne entre faire et ne pas faire, en plus de la demande de silence, cela contracte les muscles. Le jeu musical en subit les conséquences inévitablement.

En résumé, tu veux t'améliorer au piano ?… Fais la vaisselle !

(FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE)

1If I don't play the piano for one day I feel it myself... on the second day the critics will notice it... and on the third day the audience will hear it.
Vladimir Horowitz (1903 – 1989)

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8 mai 2020 5 08 /05 /mai /2020 08:00

Nathan, douze ans, s'interroge sur l'allemand. Apprendre une fois encore des choses absurdes risque d'être la fois de trop. Mais qu'est-ce donc que tous ces cas à apprendre, le nominatif, l'accusatif, etc. ?...
Retrouvons un peu de sens, car, contrairement à ce que nous croyons souvent, ce que nous apprenons est loin d'être insensé contrairement aux apparences.

Apprendre une langue, c'est apprendre un autre point de vue sur le monde : cela rafraîchit l'esprit car cela nous sort de nos évidences.

L'allemand (sans majuscule à allemand donc je parle de quelque chose, ici, de la langue ; si je voulais parler d'un être, je mettrai une majuscule : l'Allemand), l'allemand va se poser cinq questions face à une situation.

La première : on se repose ou non ?
Il y a plein d'autres façons de la dire. C
'est un point de vue statique ou dynamique ? Envisage-t-on les choses comme si elles bougeaient ou comme si elles ne bougeaient pas ? Un appareil photo suffit ou une vidéo est nécessaire ?

Si c'est un point de vue statique, en grammaire on dit qu'il y a un verbe d'état.
Si c'est un point de vue dynamique, en grammaire on dit qu'il y a un verbe d'action.

 

Examinons le point de vue dynamique. Les quatre autres questions correspondent à chaque cas. Elles sont simples car si une langue était trop difficile, personne ne pourrait la parler ! Et les enfants n'arriveraient pas à l'apprendre, elle finirait par disparaître.

Donc, quatre questions simples (je n'ai pas dit faciles, j'ai dit simples).
Pour savoir à quel cas est un nom, etc.

Première question : est-ce l'acteur principal ?
Oui : c'est au nominatif.
Non : deuxième question.

Deuxième question : est-ce que ça pourrait le devenir ?
Oui : accusatif.
Non : troisième question.

Troisième question : est-ce qu'on fait ça pour ou contre lui ?
Oui : datif.
Non : quatrième question.

Quatrième question : est-ce qu'on parle de lui ?
Oui : génitif.
Non : il y a une erreur quelque part...

Nathan est très content : finalement, il y aurait bien du sens à trouver, et ça change tout.

Je lui donne quelques phrases pour s'entraîner.
L'une d'entre elles pour exemple :
Pierre écrit une lettre à Paul dans le salon.

Pierre : est-ce l'acteur principal ? Oui. Au nominatif.

Une lettre : est-ce l'acteur principal ? Non.
Est-ce que ça pourrait le devenir ? Oui : Une lettre est écrite par Pierre. Une lettre (à Paul) est écrite dans le salon par Pierre. Donc, une lettre, accusatif (en français on dirait COD !).

à Paul : est-ce l'acteur principal ? Non. Pourrait-il le devenir ? Non (À Paul, Pierre écrit une lettre dans le salon. C'est la même scène.)
Est-ce qu'on fait ça pour ou contre lui ou elle ? Oui. Datif : à Paul est au datif.

dans le salon : est-ce l'acteur principal ? Non. Pourrait-il le devenir ? Non. Est-ce qu'on le fait pour ou contre lui ? Non. Est-ce qu'on parle de lui ? Oui. Génitif.

 

Voilà, cela n'explique pas tout, cela ne fait pas tout, mais cela redonne du sens, et du coup une lueur d'espoir...

 

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18 décembre 2019 3 18 /12 /décembre /2019 09:53

Bonjour à tous,

Un nouveau livre de gestion mentale et au-delà sort cette semaine.
Il est déjà disponible sur Amazon :
https://amzn.to/38ObXBm
Alors bonne lecture ;-)
F.R.
 

Tous les enfants, petits, ont une soif d’apprendre, une joie de connaître, une curiosité qui brille au fond des yeux. Et cela s’estompe avec le temps. Pourquoi ? Il y a les explications connues, et il y a les autres.Après trente années de recherche, l’auteur découvre une raison insoupçonnée : la pensée est constituée de 32 éléments de base. Les 32 joyaux de la pensée. Chacun de ces éléments apporte une façon unique de voir le monde. Chacun brille comme la facette d’un diamant et résonne comme les rires d’un enfant. Les hasards de l’existence nous font perdre contact avec certains d’entre eux : nous perdons alors pied dans la mer à boire de l’école où se terre l’erreur aux mille visages. Et ce n'est que le début de l'errance.

Connaître, reconnaître, recontacter ces 32 éléments, c’est au contraire renouer peu à peu avec cette joie intérieure de savoir, et restaurer la mobilité mentale.Cent personnes témoignent dans ce livre de cette rencontre avec le sens. Depuis 1990, l’auteur accompagne des milliers de personnes de tout âge, enfants et adultes, à le faire avec succès. Une pensée vive et un cœur léger, voilà les résultats qu’il observe et veut aujourd’hui partager avec vous.

Ce livre s’adresse aux parents, aux enseignants, aux curieux, à tous ceux qui veulent connaître les rouages de leur intelligence ou qui sont simplement soucieuses du bien-être personnel. Il est l’aboutissement d’une recherche originale, menée loin des sentiers battus dans les domaines inexplorées des sciences cognitives sur une période de trente ans. Il éclaire d’un autre jour les troubles « dys » comme la dyslexie, la dyscalculie, le TDA, le TDAH, la dysgraphie mais aussi la précocité, l’intelligence ou la mémoire.Chaque élément de base est comme la lettre d’un alphabet. Leur connaissance ouvre de nouvelles perspectives dans des domaines aussi variées que la pédagogie, le développement personnel ou l’intelligence artificielle.

L’auteur, enseignant-chercheur en sciences cognitives à Bordeaux, formula l’hypothèse d’un noyau commun à tous les domaines – sportif, scientifique, littéraire, technique ou professionnel. Son travail de recherche l’a emmené à étudier et enseigner différentes disciplines. Sa conclusion : il existe 32 besoins cognitifs fondamentaux, les connaître libère le potentiel de chaque individu. Découvrez ces ressources cachées en vous et votre enfant.

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29 mars 2019 5 29 /03 /mars /2019 10:00

Le protocole de séparation dans l'espace est le plus puissant protocole de gestion mentale que je connaisse (et vu que je fais de la gestion mentale depuis 1983...). Il est simple et efficace. Il suffit tout simplement de mettre l'énoncé à un endroit et de faire à un autre endroit. Ainsi, la source d'information et la production sont séparées dans l'espace. On a le droit de se déplacer librement entre les deux : chacun fait autant d'allers-retours qu'il le souhaite.

Il est efficace car il permet à celui qui l'applique d'intégrer les données à son rythme, d'évoquer comme il le souhaite, et d'allier l'activité du corps à celle de la pensée.

Alors pourquoi, s'il est simple et efficace, n'est-il pas plus diffusé ?

Justement parce qu'il est simple et efficace. Sans doute les « praticiens » en « gestion mentale », conseillers jeunes, coachs et autres orthopédagogues craignent-ils pour leur clientèle. À tort. La souffrance scolaire est immense : nous pouvons montrer et diffuser les protocoles les plus puissants, il restera encore beaucoup à faire, chacun à son niveau.

De nombreux formateurs en gestion mentale connaissent ce protocole, car ils furent à un moment ou à un autre mes élèves, même s’ils « oublient » de le mentionner.

Alors pourquoi ne pas diffuser davantage ce qui est simple et efficace ?...

Je reviendrai sur ce protocole en donnant des exemples d'applications à la maison, en cabinet ou en classe.

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25 mars 2019 1 25 /03 /mars /2019 10:00

Épisode n°1

William, élève de sixième de 11 ans, vient me voir avec sa maman car il a toujours des idées mais pas pour être attentif en cours.

Toujours souriant et désireux de bien faire, il aimerait bien disposer d’une meilleure concentration.

 

Nous explorons donc ensemble directement le geste d'attention avec le protocole de séparation dans l'espace avec une entrée « niveau objet » avec un « Rubik's snake » et une sortie en « mode d’expression plastique » avec un autre « Rubik’s snake ». Cela lui plaît beaucoup, lui qui aime bien bricoler. Il surmonte les difficultés et atteint les objectifs fixés.

Puis, nous passons au « niveau schéma » avec la figure de Rava (figure que j’ai inventé pour explorer divers aspects de l’attention), et une sortie en « mode d’expression graphique ». C’est plus dur que de manipuler les objets, mais William y arrive. Il passe notamment par un appui corporel, représenté dans le jeu du Smysl par un masque vert. (Le jeu du Smysl reprend sous formes de cartes colorées les 32 éléments de base de la pensée, véritable alphabet cognitif.)


En dialogue pédagogique, il a du mal à contacter les alternances noématiques qu'il met en place : que se cache derrière le masque vert de l’appui corporel ? Son geste d'attention manque bien de tonus ou d'intensité pour qu'il puisse lui-même le détecter correctement.

 

Cela est corroboré par un autre indice. Ses allergies en médecine chinoise indiquent un vide du Yang de la Rate que je traduis en noématique par une faiblesse de la posture d'acteur dans le geste d'attention.
Nous aurons donc à explorer les quatre autres gestes pour voir comment ils s’articulent avec l’attention : ce sera l’objet des futures séances.

 

En attendant, comme beaucoup trop d’élèves, William ignorait l’existence du protocole de séparation dans l’espace. Il va le mettre en pratique chez lui car cela lui plaît de pouvoir bouger librement entre l’énoncé et son cahier d’exercices, et de pouvoir combiner corps et pensée pour arriver à produire.

Nous verrons lors de la prochaine séance ce que cela à produit.

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16 octobre 2018 2 16 /10 /octobre /2018 08:00
« Je suis trop contente car j'ai testé, hier et aujourd'hui, deux méthodes simples sur un élève que ma collègue m'a "donné" car elle n'a pas le temps de s'en occuper. 
C'est un petit CP de 6 ans qui vit en France depuis quelques mois seulement. Dans sa famille, ils n'échangent qu'en arabe. Les parents ne parlent pas français mais mon petit élève, Mouloud, se débrouille déjà très bien. 
Or, il rame pour l'apprentissage des lettres (lecture et reconnaissance.) 
 
Cela fait depuis le début de l'année scolaire que je travaille avec lui et j'étais au summum de la frustration car je n'arrivais pas à lui faire lire les lettres L et D de son prénom (curieusement, il connaissait déjà les autres...ouf !) Il les reconnait, mais impossible de lui faire dire le nom de ces deux lettres qu'il se plaisait à rebaptiser E, I, X etc... un peu au hasard.
 
Appel à la rescousse de l'enseignante qui était bien en peine de me donner une méthode.  C'est un peu  : "Sophie, fait au mieux, s'il n'y arrive pas, ce ne sera pas de ta faute." 
 
Après nos deux journées de formation, j'ai décidé de tenter deux choses. D'abord lui montrer la lettre, puis lui faire fermer les yeux et lui demander s'il la voyait toujours. Recommencer jusqu'à ce qu'il la visualise bien (2 / 3 essais) puis lui faire tracer sur son ardoise. 
Et là... il me donnait le nom qui allait avec la lettre. Trop chouette.
Pour ancrer le souvenir, j'ai usé du déplacement. Je pose deux lettres sur une chaise. Il va les retourner et revient vers moi pour me les dire. S'il se trompe ou s'il n'est pas sûr, il y retourne, et, pour l'instant, il a été capable de conserver le souvenir de ces deux lettres d'un jour sur l'autre, lui qui les oubliait dans la seconde. 
Je verrai bien si, après ce mercredi passé à la maison, il les saura toujours jeudi. 
Sinon, je recommencerai. Mais déjà, quel progrès... 
 
Voilà. C'est chouette. »
 
C'était le témoignage de Sophie après sa formation, « Penser moins pour penser mieux ». Bien sûr, son nom comme celui de son jeune élève ont été changés.
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10 avril 2018 2 10 /04 /avril /2018 09:00

Voici un exemple d’utilisation d’une méthode utilisable par les élèves, leurs parents, les accompagnants, les enseignants, pour commencer l’étude d’un texte et en parler.

C’est une méthode en quatre étapes, que nous pourrions appeler COSA, pour Cadrage, Objectivité, Subjectivité, Action.

 

Quel que soit son âge, l’élève lit le texte quatre fois, en quatre étapes donc. On recherche à chaque étape des éléments précis dont on dresse une liste.

Lors de la première étape, le cadrage, on recherche quels mots permettent de savoir où et quand se passe le récit.

Lors de la seconde étape, l’objectivité, on recherche tous les éléments du texte se rapportant aux univers sensoriels : visuel, sonore, tactile, gustatif, olfactif.

Lors de la troisième étape, la subjectivité, on recherche les émotions ou les idées présentes dans le document.

La quatrième étape, l’action, recherche ce que font les choses ou les êtres.

 

Voici un exemple avec une poésie tombée au bac français en 2012.

 

L'Enterrement

Je ne sais rien de gai comme un enterrement !
Le fossoyeur qui chante et sa pioche qui brille,
La cloche, au loin, dans l'air, lançant son svelte trille1,
Le prêtre en blanc surplis2, qui prie allègrement,

L'enfant de cœur avec sa voix fraîche de fille,
Et quand, au fond du trou, bien chaud, douillettement,
S'installe le cercueil, le mol éboulement
De la terre, édredon du défunt, heureux drille3,

Tout cela me paraît charmant, en vérité !
Et puis tout rondelets, sous leur frac4 écourté,
Les croque-morts au nez rougi par les pourboires,

Et puis les beaux discours concis, mais pleins de sens,
Et puis, cœurs élargis, fronts où flotte une gloire,
Les héritiers resplendissants !

Paul Verlaine, Poèmes saturniens, 1866

 

1 Trille : note musicale, sonorité qui se prolonge.
2 Surplis : vêtement à manches larges que les prêtres portent sur la soutane.
3 Drille : homme jovial.
4 Frac : habit noir de cérémonie.

 

Première étape – Cadrage (espace-temps)

se passe ce poème ? Dans un cimetière.

Quels éléments du texte nous permettent de le dire ? Bien que le terme « cimetière » soit absent, nous pouvons le deviner rapidement grâce au titre, « L'enterrement », repris dans le premier vers, et « Le fossoyeur », au second vers. Mais est-ce un cimetière catholique, protestant, juif, musulman ? « La cloche », « Le prêtre en blanc surplis », « l’enfant de cœur » permettent de savoir qu’il s’agit d’un cimetière catholique. Le poète décrivant la scène suggère que nous sommes en France, ou tout au moins en Europe.

Quand se passe ce poème ?

Avec « Tout cela me paraît charmant », l’auteur nous fait savoir qu’il assiste à la scène ou que l’action lui est contemporaine. On peut la dater d’avant 1866, date de publication du poème, ou d’une façon plus large, dans la seconde moitié du XIXe siècle.

 

Seconde étape – Objectivité (les univers sensoriels)

Recherchons les termes qui donnent à voir, comme ceux décrivant l’univers chromatique (les couleurs, valeurs...).

Nous trouvons « brille », qui indique un reflet métallique, « blanc » pour le surplis du prêtre, « rougi » pour le nez des croque-morts, « resplendissants » qui est au sens propre un terme indiquant la luminosité.

Il y a des couleurs suggérés par certains mots mais qui ne sont pas dites explicitement, comme le noir avec « au fond du trou » et « frac ». Nous reviendrons plus loin sur le contraste entre les couleurs dites et celles passées sous silence.

Pour l’univers sonore, nous avons « le fossoyeur qui chante », « la cloche » et son « trille », « le prêtre » qui « prie », la « voix […] de fille » de « l’enfant de cœur », les « discours concis » : chant, prière, voix, discours et son de cloche remplissent l’espace sonore.

Pour l’univers olfactif, peut-être que « les croque-morts au nez rougi par les pourboires » apportent l’odeur du vin par leur haleine chargée dans l’alcool bu avec les pourboires et qui rougissent leur nez.

Pour l’univers gustatif, seul le terme « pourboire » pourrait suggérer une boisson alcoolisée.

Pour l’univers tactile, nous relevons « fraîche », « chaud », « douillettement », « mol », « éboulement » qui donne une touche de rugosité atténuée par l’adjectif « mol », « édredon », « rondelets », et si nous ajoutons le ressenti corporel, nous avons également « svelte » et « élargis ».

 

Troisième étape – Subjectivité (émotions, idées, sensations)

« gai », « allègrement », « heureux », « drille », « charmant » racontent une émotion de joie, comme « cœurs élargis ».

« beaux » parle de l’idée la beauté, et nous trouvons un sentiment de fierté avec les mots « gloire » et « resplendissants ».

 

Quatrième étape – Action (actions des êtres ou des choses)

Le fossoyeur chante, et sans que le texte le dise de façon explicite, nous pouvons supposer raisonnablement qu’il manie la « pioche qui brille » pour creuser le trou.

La cloche sonne. Le prêtre prie, accompagné par l’enfant de cœur. Les croque-morts s’affairent autour du cercueil. Les héritiers, et peut-être aussi les amis du défunt, font de « beaux discours concis, plein de sens ».

 

Nous avons effectué les quatre étapes. Nous avons pu les faire grâce à notre connaissance du vocabulaire. Cela nous permet d’avoir déjà une idée, une compréhension du poème. Nous pouvons alors exprimer nos idées, nos émotions, nos sensations face à ce texte.

Jusqu’ici, nous n’avons utilisé aucune connaissance grammaticale ou technique du français. Nous pouvons toujours le faire, ou nous pouvons toujours rechercher les corrections standards disponibles, celle que peut donner un enseignant, celle que l’on trouve sur internet, et on s’apercevra que nos quatre étapes permettent de mieux comprendre ces corrections.

 

Je vais maintenant apporter une touche d’analyse grammaticale, dans la suite de celle reprise de Georges Galichet et travaillée avec les concepts que j’ai élaboré à partir de la théorie d’un de mes maîtres et amis, Antoine de La Garanderie.

 

Reprenons les quatre étapes.

La scène se passe dans un cimetière, mais ce terme lui-même n’est pas utilisé par l’auteur. À la place, il mentionne un « enterrement » et un « fossoyeur ». Recherchons les catégories grammaticales de ces mots. Ce sont bien des noms, mais alors que « cimetière » est un nom d’endroit, « enterrement » est un nom d’action et « fossoyeur » un nom d’acteur.

L’auteur a donc préféré deux éléments dynamiques, action et acteur, à un élément statique, endroit, pour nous permettre de situer le récit dans l’espace. Nous pourrions y voir la trace de la tournure de pensée du poète qui a toujours eu un faible pour une vie de bohème, mais cela serait peut-être exagéré. Nous pouvons noter cependant un premier antagonisme : au lieu de parler directement d’un endroit désignant l’absence éternelle de mouvement – le cimetière – l’auteur choisit de le cacher pour mettre en avant deux termes dynamiques.

Le poème ne donne aucune indication temporelle : ni la saison, ni l’année ne peuvent être deviner. L’action est simplement contemporaine à l’auteur, autour de 1866, date de publication du poème. En ne donnant aucune indication explicite de date, on est autorisé à croire que l’action peut se dérouler n’importe quand. Cela aide à donner l’impression d’une description hors du temps, d’une relation (le fait de relater, dire) d’un fait général voire une vérité absolue.

 

L’univers visuel raconté met en lumière le reflet métallique, les couleurs blanche et rouge, mais cache la couleur noire derrière d’autre mots. Nous retrouvons ici un second antagonisme.

L’univers tactile regorge de contrastes : le mot « fraîche » s’oppose à « chaud », le mot « éboulement » contraste avec « mol », le mot « rondelets » qui décrit une horizontalité s’oppose à la verticalité de « frac écourté », comme « svelte » contraste avec « élargis ».

Notons au passage le choix du terme « éboulement », plus dynamique que le statique « éboulis ».

L’univers olfactif compte un contraste sous-entendu : les croque-morts qui devraient avoir une haleine fétide – à croquer le gros orteil du défunt pour s’assurer qu’il est bien mort – se retrouvent à exhaler le vin rouge.

 

Ces antagonismes se prolongent au niveau émotionnel : nous voici au cimetière, lors d’un enterrement, et au lieu de rencontrer de la tristesse, de la peine ou des sentiments sombres, l’auteur nous donne des mots joyeux, de la beauté et de la lumière. Même le « défunt » devient un « heureux drille ».

 

Et le choix du dynamisme entamé avec le choix de noms d’actions au détriment d’un nom d’endroit se retrouve lors des actions : chaque personne fait quelque chose, et même les choses mentionnées comme la pioche ou la cloche sont également en mouvement.

 

L’auteur joue ainsi à cache-cache, en occultant certaines choses évidentes, comme le caractère statique du repos éternel, la couleur noire ou la tristesse, et en mettant en avant des éléments plus profonds : le dynamisme de l’enterrement, les couleurs étincelantes et la gaieté.

 

Cette analyse du texte n’a fait appel qu’à nos connaissances de vocabulaire et de grammaire. Même si on n’a pas relevé que la terre chaude recouvrait le cercueil comme une couverture douillette sur le mort, on aura relevé suffisamment d’éléments pour d’une part expliquer le texte, et d’autre part souligner qu’il y a de nombreux contrastes.

Lorsque le professeur de français racontera l’intention (présumée) de l’auteur de condamner la morale sociale comme une façade, une apparence, nous aurons des éléments pour étayer cette affirmation.

Lorsque nous apprendrons que c’est un sonnet, une forme de poésie destinée à parler d’amour ou de sentiments, nous y verrons mieux un autre clin d’œil de Verlaine à jouer avec les contrastes.

Et lorsque nous saurons que les deux quatrains de la première moitié du sonnet forment des rimes embrassées, nous sourirons de voir un autre clin d’œil du poète car nous nous souviendrons qu’en se refermant sur elles-mêmes, les rimes embrassées procurent un sentiment d’espace qui tout embrasse.

Mais tout ceci, c’est si nous avons suivi en français !... Ce qui n’est pas nécessaire pour effectuer les quatre premières étapes. Alors n’hésitez plus, parcourez vos textes à la recherche de leur lieu et leur moment, de leurs sensorialités, de leurs idées, émotions ou sensations, et de leurs actions.

Action !

 

 

 

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15 mars 2018 4 15 /03 /mars /2018 17:00

La prochaine conférence « Aidez votre enfant à mémoriser – un cas pratique : les poésies
(La mémoire ? Tout un poème !) » aura lieu à Bordeaux le samedi 24 mars prochain

Vous découvrirez sept façons d’apprendre les poésies, et le secret de la mémorisation en plus ! Et aussi comment mettre le mouvement de votre enfant au service de son apprentissage et comment une invention chinoise a bouleversé la mémoire. Les cas pratiques sont très concrets et peuvent s’appliquer dans d’autres domaines. Le conférencier répondra également aux questions des participants.

La conférence sera animée par Frédéric Rava-Reny, enseignant-chercheur en sciences cognitives à l’IFeP – Initiatives et Formations en Pédagogies – émanation européenne de l’association IF, fondée par Antoine de La Garanderie en 1978.

Son axe de recherche est l’hypothèse de l’existence d’un noyau central commun à toutes les disciplines – scientifiques, littéraires, sportives, techniques et artistiques.

Cette conférence peut être faite pour les élèves, leurs parents, les enseignants et autres
professionnels de l’éducation.


L'entrée est gratuite, mais il faut s'inscrire !
https://www.helloasso.com/associations/dyspraxique-mais-fantastique/evenements/conference-gestion-mentale

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12 octobre 2017 4 12 /10 /octobre /2017 07:00

Une question revient souvent lors des accompagnements en maths, en français, en sciences ou en histoire : pourquoi manipule-t-on des objets ?
Il y a une raison simple : ce n'est pas que notre cerveau ne connaît pas la réponse, c'est qu'il en a plusieurs et ne sait pas choisir la bonne. L'information en images et l'information en son sont différentes, comme l'information concrète et celle codée...
Un peu comme si nous voulions faire une course et qu'un pied a une chaussure et l'autre non. Nous ne pourrions pas aller bien vite.

Il nous faut donc harmoniser l'information portée par l'image et celle portée par le son, celle concrète et celle conventionnelle...
L'information portée par l'image étant cohérente avec celle portée par le son, notre cerveau peut alors être plus efficace. À notre plus grande satisfaction.

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16 mai 2017 2 16 /05 /mai /2017 07:00

Lorsque nous ignorons comment agir, nous avons peur. Et nous avons peur de manquer, puisque nous ne savons pas comment obtenir ce dont nous avons besoin. La peur engendre donc l'avidité. Et lorsque nous sommes avides, forcément nous consommons sans retenue et sans mesure, c'est donc du gaspillage.

La passivité engendre aussi les mêmes conséquences puisque nous n'agissons ni à l'endroit, ni au moment, ni de la façon dont il faudrait agir. Pour satisfaire nos besoins, l'action que nous ferons sera alors inadéquate et notre besoin inassouvie. Cherchant à le combler malgré notre manque d'adaptation, nous gaspillerons nos ressources ou celles dont nous avons besoin pour étancher la soif de nos besoins. Il y aura donc là aussi un gaspillage.

La pratique des gestes mentaux permet d'apprendre à agir correctement, elle nous aide à sortir de la torpeur de notre passivité. La peur se dissipe au fur et à mesure que la connaissance des gestes et l'entraînement progressent. Les besoins de la personne sont ainsi mieux pris en compte et mieux assouvis. L'avidité n'a donc plus de raison d'être, et le gaspillage s'estompe.

Nous contactons ainsi la quiescence, la qualité calme, non inquiète de la conscience.

Voilà pourquoi la pratique des gestes mentaux préserve les ressources naturelles et grâce à une action plus réfléchie promeut en même temps une économie plus productive.

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